« Dans ses Mémoires, publiés par un
membre de sa famille, le Cardinal [Daniélou] dit explicitement : « II est
évident que Paul VI est un pape libéral ».
« Et c’est la solution qui apparaît
la plus vraisemblable historiquement : parce que ce pape-là est comme un fruit
du libéralisme, toute sa vie a été imprégnée par l’influence des hommes qui
l’entouraient ou qu’il a pris pour maîtres et qui étaient des libéraux.
« Il ne s’est pas caché de ses
sympathies libérales : au Concile, les hommes qu’il nomma modérateurs à la
place des présidents nommés par Jean XXIII, ces quatre modérateurs furent,
avec le cardinal Agagianian, cardinal de Curie sans personnalité, les cardinaux
Lercaro, Suenens et Dopfner, tous trois libéraux et ses amis. Les présidents
furent relégués en arrière, à la table d’honneur, et ce furent ces trois
modérateurs qui dirigèrent les débats du Concile. De même Paul VI soutint pendant
tout le Concile la faction libérale qui s’opposait à la tradition de l’Eglise.
Cela est connu. Paul VI a répété - je vous l’ai cité - les paroles de
Lamennais, textuellement, à la fin du Concile : « l’Eglise ne demande que
la liberté » ; doctrine condamnée par Grégoire XVI et Pie IX !
« On ne peut nier que Paul VI n’ait
été très fortement marqué par le libéralisme. Cela explique l’évolution
historique vécue par l’Eglise en ces dernières décades, et cela caractérise
très bien le comportement personnel de Paul VI. Le libéral, vous ai-je dit, est
un homme qui vit perpétuellement dans la contradiction : il affirme les
principes, mais fait le contraire, il est perpétuellement dans l’incohérence.
[…]
« Le 7 mars 1965, il déclarait aux
fidèles massés sur la place Saint-Pierre :
« C’est
un sacrifice que l’Eglise accomplit en renonçant au latin, langue sacrée,
belle, expressive, élégante. Elle a sacrifié des siècles de tradition et
d’unité de la langue pour une aspiration toujours plus grande à
l’universalité ».
« Et le 4 mai 1967, ce
« sacrifice » était accompli, par l’Instruction Tres abhinc annos qui établissait
l’usage de la langue vulgaire pour la récitation, à voix haute, du Canon de la
messe. Ce « sacrifice », dans l’esprit de Paul VI, semble avoir été
définitif. Il s’en expliqua de nouveau, le 26 novembre 1969, en présentant le
nouveau rite de la messe :
« Ce
n’est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de
la messe. Pour quiconque connaît la beauté, la puissance du latin, son aptitude
à exprimer les choses sacrées, ce sera certainement un grand sacrifice de
le voir remplacé par la langue courante. Nous perdons la langue des siècles
chrétiens, nous devenons comme des intrus et des profanes dans le domaine
littéraire de l’expression sacrée. Nous perdons ainsi en grande partie cette
admirable et incomparable richesse artistique et spirituelle qu’est le chant
grégorien. Nous avons, certes, raison d’en éprouver des regrets et presque du
désarroi ».
« Tout devrait donc dissuader Paul
VI d’opérer ce « sacrifice » et le persuader de garder le
latin. Mais non ; se complaisant dans son « désarroi » d’une façon
singulièrement masochiste, il va agir au rebours des principes qu’il vient
d’énumérer, et décréter le « sacrifice » au nom de la compréhension
de la prière », argument spécieux qui ne fut que le prétexte des modernistes :
« Jamais le latin liturgique ne fut
un obstacle à la conversion des infidèles ou à leur éducation chrétienne, bien
au contraire, les peuples simples d’Afrique et d’Asie aiment le chant grégorien
et cette langue une et sacrée, signe de leur appartenance à la catholicité. Et
l’expérience prouve que là où le latin ne fut pas imposé par les missionnaires
de l’Eglise latine, là des germes des schismes futurs furent déposés. - Paul VI
prononce alors la sentence contradictoire :
« La
réponse semble banale et prosaïque, dit-il, mais elle est bonne, parce que
humaine et apostolique. La compréhension de la prière est plus précieuse que
les vétustés vêtements de soie dont elle s’est royalement parée. Plus précieuse
est la participation du peuple, de ce peuple d’aujourd’hui qui veut qu’on lui
parle clairement, d’une façon intelligible qu’il puisse traduire dans son
langage profane. Si la noble langue latine nous coupait des enfants, des
jeunes, du monde du travail et des affaires, si elle était un écran opaque au lieu
d’être un cristal transparent, ferions-nous un bon calcul, nous autres pêcheurs
d’âmes, en lui conservant l’exclusivité dans le langage de la prière et de la
religion ? »
« Quelle confusion mentale,
hélas ! - Qui m’empêche de prier dans ma langue ? Mais la prière
liturgique n’est pas une prière privée, c’est la prière de toute l’Eglise. De
plus, autre confusion lamentable, la liturgie n’est pas un enseignement adressé
au peuple, mais le culte adressé par le peuple chrétien à Dieu. Une chose est
le catéchisme, autre chose la liturgie ! Il ne s’agit pas, pour le peuple
assemblé à l’Eglise, « qu’on lui parle clairement », mais que ce peuple puisse
louer Dieu de la manière la plus belle, la plus sacrée, la plus solennelle qui
soit ! « Prier Dieu sur de la beauté », telle était la maxime
liturgique de saint Pie X. Comme il avait raison !
« Vous voyez, le libéral est un
esprit paradoxal et confus, angoissé et contradictoire. Tel fut bien Paul VI.
M. Louis Salleron l’explique fort bien, quand il décrit le visage physique de
Paul VI : il dit « il a le visage double ». Il ne parle pas de
duplicité, car ce terme exprime une intention perverse de tromper qui n’était
pas présente chez Paul VI. Non, c’est un personnage double, dont le visage
contrasté exprime la dualité : tantôt traditionnel en paroles, tantôt
moderniste dans ses actes ; tantôt catholique dans ses prémisses, ses
principes, et tantôt progressiste dans ses conclusions, ne condamnant pas ce
qu’il devrait condamner et condamnant ce qu’il devrait conserver !
« Or, par cette faiblesse
psychologique, ce pape a offert une occasion rêvée, une possibilité
considérable aux ennemis de l’Eglise de se servir de lui : tout en gardant un
visage (ou une moitié de visage, comme on voudra) catholique, il n’a pas hésité
à contredire la tradition, il s’est montré favorable au changement, baptisé
mutation et progrès, et est allé ainsi dans le sens de tous les ennemis de
l’Eglise, qui l’ont encouragé. N’a-t-on pas vu un jour, dans les années 76, les
Izvestia, organe du parti communiste soviétique, réclamer de Paul VI, au nom de
Vatican II, ma condamnation et celle d’Ecône ? De même, le journal
communiste italien L’Unita exprima
une semblable requête y réservant toute une page, lors du sermon que je
prononçais à Lille le 29 août 1976, furieux qu’il était de mes attaques contre
le communisme ! « Prenez conscience, était-il écrit à l’adresse de
Paul VI, prenez conscience du danger que représente Lefebvre, et continuez le
magnifique mouvement d’approche commencé avec l’œcuménisme de Vatican
II. » C’est un peu gênant d’avoir des amis comme ceux-là, ne trouvez-vous
pas ? Triste illustration d’une règle que nous avons déjà relevée : le
libéralisme mène du compromis à la trahison. »
Mgr Lefebvre, Ils l’ont découronné, Clovis, 2009, pp.
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