Après
les sacres conférés à Écône le 30 juin 1988, le fondateur de la Fraternité
sacerdotale Saint-Pie X n’a plus entretenu de relations avec le Siège
apostolique de son vivant. Sans doute la grave décision de procéder à cette
cérémonie avait-elle eu des conséquences sur les relations entre le Siège
apostolique et Mgr Lefebvre. La tension avait été suffisamment forte et le
décret du 2 juillet l’avait prouvé. Est-il possible, sans trop s’aventurer, de
l’expliquer autrement ?
Un acte de survie
Hâtivement,
on pourrait penser que l’archevêque avait finalement conclu que poursuivre des
discussions avec un monde pétri d’idées néo-modernistes s’avérait néfaste pour
la progression de son œuvre qui n’aurait pu que prospérer bien loin de ce monde
enténébré. Il semble cependant que cette idée ne constitue qu’un fâcheux
raccourci. Reprenons le contexte. Jusqu’à la veille des sacres, Mgr Lefebvre a
cherché par tous les moyens possibles un accord avec le Saint-Siège. Il n’a
cessé d’écrire et de communiquer durant toutes les années 1970-1980 avec
quelques cardinaux et prélats connus de lui, au sein de la Curie, et il a
affirmé à plusieurs reprises que la solution viendrait de Rome. Il a été
jusqu’à signer un protocole au mois de mai 1988. Imaginer qu’il ait changé diamétralement
de pensée en l’espace d’un mois ferait de lui un personnage emporté et
impulsif, ce qu’il n’était pas. Au contraire, la question des sacres est
apparue comme une affaire longuement réfléchie, ce qui ne l’empêchait pas de
poursuivre, parallèlement, les discussions avec le Siège apostolique, tant
qu’il en avait la force. Seule l’approche de la mort l’a contraint à
« l’opération survie ».
Pour comprendre la pensée de Mgr
Lefebvre, il faut bien noter qu’il a vraiment agi in articulo mortis. Il le dit lui-même dans le sermon des sacres.
Sa mort interviendra bientôt : « Ce ne sera sans tarder ». Et la
cérémonie des sacres n’aurait probablement pas pu avoir lieu si son auteur
n’avait pas justifié l’état de nécessité par le fait qu’il n’avait plus aucun
recours et qu’il allait prochainement disparaître. Reprendre des pourparlers après
les sacres aurait inévitablement déjugé l’acte qu’il venait de poser. Son acte
s’explique uniquement par le fait qu’il se sentait à la veille de sa mort et
qu’il était donc celui de la dernière chance, après lequel il n’y aurait plus
d’échange humainement possible de son vivant.
Les pourparlers après 1988
Au-delà
de la situation in extremis dans laquelle il se trouvait, Mgr Lefebvre
envisageait d’ailleurs une reprise assez rapide des pourparlers avec Rome. Il
souhaitait que ses successeurs relancent le processus. Lors de la conférence de
presse qu’il a accordée le 15 juin aux journalistes réunis à Écône, par
laquelle il annonçait sa ferme décision de procéder aux sacres et de mettre un
terme aux relations avec Rome, il estimait que l’interruption de ces échanges,
due à la gravité de l’acte des consécrations, durerait environ deux ou trois ans :
« Ces événements que nous allons vivre ces jours-ci,
bien sûr, vont faire parler et il y aura un monde fou à la cérémonie du 30 juin
pour la consécration de ces quatre jeunes évêques qui seront au service de la
Fraternité. C’était prévu comme ça par Rome. Les évêques sacrés pour la
Fraternité seront au service de la Fraternité. Eh bien, ces quatre évêques
seront au service de la Fraternité, voilà. Celui qui aura donc en principe
la responsabilité des relations avec Rome lorsque je disparaîtrai, ce sera le
Supérieur général de la Fraternité, M. l’abbé Schmidberger, qui a encore six
années de supériorat général à accomplir. C’est lui qui, éventuellement, aurait
les contacts avec Rome désormais pour continuer les colloques, si ces colloques
continuent ou si le contact est maintenu, ce qui est peu probable pendant
quelques temps, puisque dans L’Osservatore Romano va être mis
sous un grand titre : « Schisme de Mgr Lefebvre, excommunication… ». Donc,
pendant X années, peut-être deux ans, trois ans, je n’en sais rien, cela va
être la séparation. »
On constate là
le grand optimisme de Mgr Lefebvre. Il saisit bien qu’il y aura séparation
temporaire pendant un certain laps de temps. Lui-même survit deux ans et demi
aux sacres. Aussi l’absence de relations lui est-elle parue naturelle, non pas
en raison d’un changement de position radical, mais en raison de la secousse
qu’a provoqué l’acte des sacres épiscopaux. Dès 1988, l’abbé Schmidberger est
devenu le responsable adoubé des relations avec Rome, comme l’a souhaité le
fondateur. Il n’a pas repris les relations au bout de deux ou trois ans, soit
au moment de la mort de Mgr Lefebvre, comme ce dernier avait pu l’estimer. Il a
finalement fallu attendre douze années, après six années de supériorat de
l’abbé Schmidberger et six années de supériorat de Mgr Fellay pour que les
« colloques continuent ». En l’occurrence, on pourrait davantage
reprocher à la Fraternité son extrême prudence que sa précipitation. Mais le
seul juge de cette chronologie était, de toute façon, le responsable mandaté
pour estimer cette durée, à savoir le supérieur général de la FSSPX. Ainsi l’a
souhaité le fondateur.
Côme de Prévigny
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