Une difficulté dans laquelle se trouvent parfois les héritiers spirituels
de Mgr Lefebvre consiste à interpréter sa pensée, alors qu’il a disparu depuis
plus de vingt ans. Il a parlé dans des contextes bien particuliers, celui des
années 1970 et 1980. Que dirait-il aujourd’hui devant la situation de l’Église ?
Quelle attitude aurait-il adopté devant le Motu Proprio libérant la messe ?
Devant la levée des excommunications ? Face au renouvellement d’Assise, le
24 janvier 2002 puis le 27 octobre 2011 ? Mystère ! Quelques-uns de
ceux qui furent ses plus proches collaborateurs estiment cependant qu’il aurait
signé avec Rome devant les propositions que le cardinal Castrillón Hoyos faisait dès
2001. D’autres, au contraire, parient qu’il aurait définitivement rompu tout
contact avec le Siège apostolique. Le plus grand nombre de ses prêtres suit
cependant la directive qu’il a donnée d’observer la ligne que proposerait la
Maison Générale de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX).
Une autre
question qu’on peut se poser, c’est l’importance de la liturgie et de la
doctrine dans la résistance menée par la FSSPX. L’essentiel se trouve-t-il dans
les saints offices ? Il le laissait entendre dans le sermon des
ordinations de 1976 qui lui valurent la suspens
a divinis : « Il est clair, il est net que c’est sur le problème
de la messe que se joue tout le drame entre Écône et Rome. » Deux
ans auparavant, dans la célèbre déclaration du 21 novembre 1974, il semblait
cependant insister sur l’importance des dramatiques nouveautés introduites dans
la doctrine. La réalité c’est que Mgr Lefebvre considérait que les deux étaient
liées et avaient des répercussions mutuelles. A cet égard, il ne manquait
généralement pas de rappeler le célèbre adage Lex orandi, lex credendi qui prouve que la manière de prier reflète
la foi de celui qui prie. Le 11 mai 1979, devant les séminaristes réunis à
Écône, il parla en ces termes pour illustrer cette réalité :
« Si vraiment le Pape remet la Messe traditionnelle en honneur dans l’Eglise, eh bien vous savez, je crois que l’on pourra dire que l’essentiel de notre victoire est acquis. Le jour où vraiment la Messe redevient la Messe de l’Eglise, la Messe des paroisses, la Messe des églises – oh, il y aura encore des difficultés, il y aura encore des disputes, il y aura des oppositions, il y aura tout ce qu’on voudra – mais enfin, la Messe de toujours, la Messe qui est le cœur de l’Eglise, la Messe qui est l’essentiel de l’Eglise, cette Messe-là reprendra sa place, la place qu’elle n’aura peut-être pas encore assez, il faudrait évidemment la lui donner encore beaucoup plus grande, mais enfin quand même, le seul fait que tous les prêtres qui le désirent pourront dire cette Messe-là, moi je crois que cela aurait des conséquences énormes dans l’Eglise. Je crois que nous aurions servi à ce moment-là, si vraiment ça arrivait… eh bien, moi je crois que la Tradition est sauvée. Le jour où on sauve la Messe, la Tradition de l’Eglise est sauvée, parce qu’avec la Messe, ce sont les sacrements, avec la Messe, c’est le Credo, avec la Messe c’est le catéchisme, avec la Messe c’est la Bible et tout et tout… qu’est-ce que vous voulez, ce sont les séminaires et c’est la Tradition qui est sauvée. Je crois qu’on pourrait presque dire que l’on revoit une aurore dans l’Eglise, on aurait traversé une tempête formidable, on se serait trouvés dans l’obscurité complète, battus par tous les vents et par toutes les tornades et que tout de même enfin à l’horizon se révèle la Messe, la Messe qui est le soleil de l’Eglise, qui est le soleil de notre vie, le soleil de la vie du chrétien… »
Que peut-on
tirer de cet enseignement ?
1. C’est d’abord une invitation à demeurer confiant dans la victoire prochaine. Dans tous les entretiens qu'il a accordés, Mgr Lefebvre a manifesté cet invincible optimisme qui finit par avoir raison de tout. L’archevêque parle ici de la libération de la messe pour tous les prêtres : l’acte qui ferait qu’on place « la messe traditionnelle en honneur dans l’Église ». Plus loin, il parle du « fait que tous les prêtres qui le désirent pourront dire cette Messe ». Eh bien Mgr Lefebvre qualifie cet acte d’aurore dans l’Église. C’est une vraie marque d’espérance pour nous qui vivons dans ce marasme conciliaire où les voyants paraissent tous virer au rouge. Le fondateur de la FSSPX nous prévient. Il faut regarder « l’horizon » !
2. En même temps, il ne cache pas les problèmes qui demeureront. Il prévoit que ce tournant sera une situation nuancée, une étape. Il laisse bien entendre que la liturgie traditionnelle n’aura pas encore toute sa place, « la place qu’elle n’aura peut-être pas encore assez, il faudrait évidemment la lui donner encore beaucoup plus grande ». De notre côté, nous pensons non seulement à la persistance de la nouvelle messe mais aussi à la doctrine et à ce fameux Concile qui semble demeurer l’alpha et l’omega chez grand nombre d’évêques et de prêtres occupant les charges de notre pays. Or, dans ces lignes, Mgr Lefebvre prévient que la lutte ne sera pas terminée : « il y aura encore des difficultés, il y aura encore des disputes, il y aura des oppositions ». Mais il nous invite à un jugement équitable. Il ne faut ni sombrer dans un angélisme aveuglé qui nous ferait sombrer dans la démission, encore moins dans un durcissement pessimiste qui enterrerait à jamais toute possibilité de restaurer la Tradition.
3. Le plus marquant dans ce passage demeure la foi que le fondateur de la FSSPX place dans l’efficacité surnaturelle de la sainte messe. Souvent, nous pouvons être tentés de considérer la situation de manière purement naturaliste en ne voyant dans les saints mystères que des artifices d’une bataille toute humaine, qui serait apparemment perdue. Mgr Lefebvre regarde les choses autrement. Il compte énormément sur la force surnaturelle de la messe dont l’incandescence devrait faire fondre toutes les couvertures givrantes de l’ère conciliaire. Lui ne semble pas douter un instant de la grâce de la liturgie tridentine qui amènera « le soleil de l’Eglise, qui est le soleil de notre vie, le soleil de la vie du chrétien ». Et les échos récents prouvent que bon nombre de prêtres reprenant le chemin de la messe de toujours empruntent progressivement celui de la doctrine transmise par des siècles de Chrétienté.
Par
la suite, Mgr Lefebvre n’a, à aucun moment, minimisé la portée d’une possible
libération universelle de la messe traditionnelle. Il a regretté en 1984 comme
en 1988 que la liturgie demeurât emprisonnée dans quelque indult parcimonieux.
Aussi, a-t-il procédé à l’opération survie pour qu’un jour on reconnaisse la
valeur éternelle de la liturgie et de la foi transmise par nos pères.
Côme de Prévigny
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