Dans toute l’attitude de
Mgr Lefebvre, on trouve cet équilibre entre le défaut et l’excès. Il
pointe du doigt le mal en récusant d’une part l’absence de tout jugement, hélas
généralisée chez les promoteurs des réformes qui préconisent l’abandon de toute
parole contrariante, et d’autre part l’excès qui fait perdre l’esprit
du jugement pour appliquer de manière irréfléchie une lettre qui va finir par
tuer lorsqu’elle sera devenue une fin en soi. Le sujet de la tenue
vestimentaire est assez symptomatique de l’attitude du fondateur de la
Fraternité Saint-Pie X, toute en mesure et fondée sur l’esprit d'apostolat.
Celui-ci veillait à dénoncer l’immodestie galopante dans les manières de
s’habiller tout en veillant à ne pas recourir à des attitudes fébriles ou
passionnées :
« Il faut savoir faire pénitence, refusant
tout ce qui est trop mondain, tout ce qui flatte la chair, toutes ces modes
indécentes. Toutes ces choses-là doivent être absolument proscrites pour de
vrais chrétiens, sinon nous n'obtiendrons pas les grâces du Bon Dieu, les
grâces qui sont nécessaires actuellement à notre salut. On ira toujours de
malheur en malheur. » [1]
Parfois, dans ses
interventions, Mgr Lefebvre parvient, par une démarche apologétique, à pousser
les fidèles à veiller à la tenue du dimanche, laquelle honore Dieu et valorise
le chrétien. Ainsi présente-t-il à des populations aisées de l’Europe
chrétienne les efforts des habitants du Cap-Vert qu’ils avait connus en
Afrique. Ces derniers mettaient le meilleur d’eux-mêmes pour se rendre
dignement à l’église :
« Si on allait les voir dans leurs
villages avant qu’ils ne sachent que le Père allait venir, on les trouvait avec
des guenilles sur le dos, de véritables guenilles, des habits déchirés, presque
nus… travaillant comme ça les champs. Quel travail pouvaient-ils faire ? Parce
qu’il pleuvait très peu ; c’était très sec, très pauvre. Mais, dès que c’était
la fête, le dimanche, on aurait cru que les gens étaient très aisés parce
qu’ils mettaient l’unique robe l’unique habit qu’ils avaient, ils le mettaient
le dimanche. Alors c’était la grande fête, évidemment ! [2] »
En même temps, Mgr
Lefebvre semble se méfier d’un rubricisme qui mettrait en péril l’esprit
d’apostolat, ne tenant plus compte du manque de formation ou des dispositions
parfois ingénues de ceux qui poussent la porte. Dans les mots qui suivent, le
fondateur s’adresse à ses séminaristes mais, à travers eux, il semble également
mettre en garde ces fidèles que nous sommes et qu’ils auront ensuite en charge.
« Qu’est-ce que vont faire ceux-là qui se
critiquent mutuellement aussi bien les uns que les autres ? Ils ne pourront pas
vivre dans le ministère. Ils vont chasser tous leurs paroissiens les uns après
les autres parce qu’ils vont anathématiser celui-ci, anathématiser celui-là,
ils vont critiquer celui-ci, ils vont critiquer celui-là ; parce qu’il manquera
un centimètre aux robes des femmes, ils les mettront toutes à la porte ! Il y
en a une qui a oublié sa voilette sur la tête ? Eh bien, elle est excommuniée !
Voilà des choses invraisemblables ! Faire des révolutions de palais pour une
histoire de mantille, pour une histoire d’un centimètre de longueur, c’est
invraisemblable ! Il faut quand même vivre avec les gens, non pas qu’il ne
faille pas leur donner des conseils, non pas qu’il ne faille pas essayer de les
ramener à la vérité, mais précisément pour les ramener à la vérité, si on les
rejette dehors, comment voulez-vous les ramener ? Alors si on est toujours ici
à se rejeter les uns les autres, si vous pensez que vous êtes davantage dans la
vérité que l’autre, essayez de discuter avec lui. Il n’est pas d’accord ? Mais
peut-être que demain il aura réfléchi. Et puis peut-être que ce n’est pas vous
qui êtes dans la vérité. Tant pis si on n’est pas tout à fait d’accord, on
s’entend et puis c’est tout [3]. »
[1] Conférence à
Rennes, novembre 1972.
[2] Conférence à
Écône, 12 décembre 1977.
[3] Conférence à
Écône, 20 septembre 1977.
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