Bien méconnue est la figure du cardinal
Oddi qui a si généreusement accueilli Mgr Lefebvre à chaque fois qu’il s’est
rendu à Rome. Ce dernier trouvait en lui une oreille attentive qui souhaitait ardemment
que le différend entre Rome et Écône soit avantageusement résolu. Quand il
fallait intercéder auprès du pape en faveur du fondateur de la Fraternité
Saint-Pie X, le cardinal Silvio Oddi était là. Il n’a pas ménagé sa peine,
notamment lorsqu’il a fallu nommer un visiteur apostolique pour inspecter les lieux de la
Fraternité Saint-Pie X, peu avant les sacres.
Bien sûr, certains
pourront objecter qu’il ne s’est pas « rallié » à Écône, qu’il n’a
pas publiquement vanté les mérites de la Fraternité Saint-Pie X et qu’ainsi il
aurait éventuellement failli à sa mission. Ce faisant, ces objecteurs risquent
fort de reprocher à cet homme de ne pas avoir bénéficié des grâces qu’ils ont
eux-mêmes reçues sans mérite de leur part. Qu’auraient fait ces derniers s’ils
avaient été ce cardinal italien, ancien nonce en Belgique que Jean-Paul II
nomma chef de dicastère peu après son élection ?
Né dans la
campagne de Plaisance en 1910, légat apostolique au Moyen Orient sous le pape
Pie XII, internonce en Égypte, Silvio Oddi fut nommé par Jean XXIII nonce
apostolique en Belgique où il a vu une part de la Chrétienté s’effondrer devant
ses yeux. Quinze ans plus tard, le 28 septembre 1979, le pape Jean-Paul II
le nommait préfet de la Congrégation pour le Clergé.
Dans ses
entretiens avec Mgr Lefebvre, il ne mâchait pas ses mots, lui assurait que la
définition du nouvel ordo était hérétique. Et lorsque le prélat d’Écône lui
envoya une lettre solennelle, ainsi qu’à quelques autres princes de l’Église, afin
qu’il se manifeste devant la tragédie qui allait s’opérer à Assise le 27
octobre 1986, il n’a pas craint de se lever en séance pour reprocher au pape
d’aller explicitement à l’encontre de l’encyclique Mortalium Animos qui
proscrivait les congrès visant à réunir pour la paix des dirigeants de
religions diverses qui construisaient un pacifisme à l’écart de Jésus Christ.
Après la
disparition de Mgr Lefebvre, le cardinal Oddi aurait pu se terrer dans le
silence et la tristesse. Il a néanmoins tenu à se rendre à Écône. Au mois
d’août 1991, il a téléphoné au séminaire pour dire qu’il se trouverait en
Valais le mois suivant. Et le 18 septembre, conduit par son neveu, il est
arrivé sur les lieux. Accueilli par le directeur, l’abbé Michel Simoulin, il a
partagé en silence le repas des séminaristes et a pris le café avec les prêtres
présents. Il n’a pas caché sa joie d’être au sein de la maison fondée par Mgr
Lefebvre ni ses sentiments à l’égard de la sainteté de ce personnage de
l’Église. Il a confirmé qu’à ses yeux la Fraternité Saint-Pie X (FSSPX) était
unie à l’Église romaine et a dit souhaiter ardemment qu’un accord soit conclu
entre Rome et la Fraternité pour le bien de cette dernière, tout en précisant
bien que son déplacement était le fait de sa propre initiative.
Au cours de la
conversation, les prêtres lui ont demandé si, d’après lui, Rome aurait consenti
à accorder l'évêque promis au cas où l'accord aurait été maintenu. Pour toute
réponse, il a fait ce signe très italien : se frotter le menton avec le
dos des doigts, ce qui signifie : niente ! (Jamais de la vie !). En
même temps, il reconnaissait que le poids des évêques consacrés permettait
désormais à la FSSPX d’obtenir une structure semblable à celle de l’Opus Dei.
Ensuite, le
cardinal a demandé au directeur de pouvoir se recueillir sur la tombe de Mgr
Lefebvre. Seul avec le directeur, il a remonté la pente qui conduit au caveau
où repose le corps de l’archevêque. Le prince de l’Église s’est recueilli en
silence pendant quelques instants devant cette plaque sur laquelle est inscrit
le nom du prélat et cette phrase qu’il a voulu : Tradidi quod et accepi.
Le cardinal Oddi a conclu par un simple cri : « Merci
Monseigneur ! ».
« Nous étions
seuls, mais je l’entends encore » affirme l’abbé Simoulin.
Ajoutons que le
cardinal Oddi a travaillé à la Curie aux côtés du pape Jean XXIII. « Quand
je lui ai demandé lors d'une audience, a-t-il rapporté, pourquoi en 1960, lorsque
l'obligation de garder le secret était venue à sa fin, il n'avait pas rendu
publique la dernière partie du message de Fatima, il a répondu avec un soupir
las. Il a alors dit: "Ne me remettez pas ce sujet, s'il vous plaît
... » Après avoir interrogé en 1982 sœur Lucie, le cardinal s’est autorisé
à affirmer dans ses mémoires, en 1995 : « le Troisième Secret, que
Jean XXIII et ses successeurs pensèrent inopportun de révéler, ne concernait
pas une conversion supposée de la Russie, encore loin de devenir une réalité,
mais concernait la « révolution » dans l'Eglise (Vatican II). À
partir de ce concile, de nombreuses innovations sont nées qui semblent
constituer une véritable révolution interne. »
Côme de Prévigny
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