Certains milieux marginaux de la
Tradition, faisant subir quelques contorsions à la pensée de Mgr Lefebvre,
avancent aujourd’hui l’idée que « l’Église conciliaire » serait une entité
structurelle indépendante et distincte de l’Église catholique fondée par Notre
Seigneur. Les conséquences de cette dérive doctrinale sont assez dramatiques.
Elles condamnent forcément le fondateur de la Fraternité Saint-Pie X qui a
passé son temps à se rendre auprès des
autorités pourtant imbues des idées du Concile, afin de trouver un modus vivendi.
Ces mêmes groupes avancent l’idée
que Mgr Lefebvre aurait reçu l’approbation de la véritable Église puisqu’elle
aurait été approuvée par Mgr François Charrière, évêque de Lausanne, Genève et
Fribourg le 1er novembre 1970. Et ces mêmes pourfendeurs de « l’Église
conciliaire » – terme inventé par Mgr Benelli – n’hésitent pas à faire du
brave Mgr Charrière le deuxième père de la Fraternité. Après tout, c’est lui
qui a signé l’acte de naissance de la Fraternité : son décret d’érection.
Mais était-il bien en phase avec Mgr Lefebvre ?
Les deux hommes s’étaient connus
à Dakar lorsque l’évêque de Fribourg était venu pendant une quinzaine de jours
visiter les Suisses installés au Sénégal. Ils avaient sympathisé et Mgr
Lefebvre avait maintenu les relations. Comme l’université de Fribourg avait plutôt
bonne réputation, l’archevêque avait installé son séminaire dans la ville puis
avait requis l’autorisation de son ami, Mgr Charrière. Mais ce dernier lui
avait, dans un premier temps, conseillé d’envoyer ses futurs prêtres dans le
séminaire interdiocésain :
« Alors
je suis allé voir Mgr Charrière et je lui ai demandé s’il n’y avait pas quelque
chose quand même à Fribourg qui soit mieux que cette maison des Pères du
Saint-Esprit, où les quelques séminaristes dont je m’occupais, pourraient
trouver place et une certaine formation. Il m’a répondu : « Vous savez, Monseigneur, la situation
est très mauvaise actuellement, elle va toujours en empirant ; et je suis
très pessimiste sur l’avenir même du diocèse et de la formation sacerdotale. Je
suis pessimiste, je ne sais pas comment les choses vont tourner. En tout cas,
nous avons, oui, un séminaire interdiocésain qui sert tous les diocèses de
Suisse et qui reçoit même des étudiants en civil. Par conséquent, il pourrait
bien recevoir vos étudiants aussi. Alors, peut-être, allez voir là. » (1)
Bien étranger au Coetus, Mgr
Charrière était en réalité un véritable esprit conciliaire, avant même Vatican
II. Lors de son accession au Siège de Fribourg, la Voix ouvrière, quotidien communiste romand, loua la « réputation
d’homme de gauche » du nouvel évêque. C’est à cette époque qu’il encouragea
le Conseil œcuménique des Églises, pourtant fermement interdit par Rome. Dès 1960,
le prélat adressa au Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens, dont il était
membre actif aux côtés du cardinal Bea, une note sur la liberté de conscience
qui allait marquer les esprits et former, aux côtés des écrits de Mgr Émile de
Smedt, le terreau de Dignitatis Humanae,
texte en faveur duquel il vota naturellement. Par ailleurs, Mgr Charrière était
très engagé dans l’œcuménisme. Il n’hésita pas à dialoguer avec les Protestants
et, à l’époque où il recevait les demandes de Mgr Lefebvre pour reconnaître son
œuvre, il s’envolait en 1970 vers la Moscou soviétique pour représenter Paul VI
aux obsèques du patriarche schismatique Alexis Ier, allié au pouvoir
de Brejnev, dans un geste d’œcuménisme accompli.
A bien des égards, Mgr François
Charrière était un représentant confirmé de ce que Mgr Benelli appela « l’Église
conciliaire ». Et c’est pourtant lui qui a érigé l’institut de droit
diocésain appelé : « Fraternité sacerdotale Saint-Pie X ». Considérer
que cette expression recouvre une entité structurelle distincte de l’Église
catholique, c’est malheureusement conclure que la Fraternité sacerdotale
Saint-Pie X est non pas une fondation de l’Église catholique, mais une
émanation d’une structure schismatique. Dire que telle n’était pas la pensée du
fondateur, c’est enfoncer une porte ouverte.
Côme de Prévigny
(1) Mgr Marcel Lefebvre, Petite histoire de ma longue histoire, 1999.
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