Peut-être n’y a-t-il jamais eu
autant de crises au sein de la Fraternité Saint-Pie X qu’à ses débuts. Tous les
deux ou trois ans, une scission éclatait et c’est ici un séminaire qui
chavirait, là un district qui s’éloignait. En 1983, Mgr Lefebvre perdit quasiment
tout l’apostolat des États-Unis, les prêtres lui reprochant sa trop grande
souplesse et son manque de fermeté. L’archevêque ne s’émut pas. S’il faut tout
perdre, nous recommencerons tout, disait-il. Six ans auparavant, le corps
professoral d’Écône l’avait jugé trop dur et c’est une grave crise qui affecta
la Fraternité au point de séparer le séminaire du fondateur. Une fois la
tempête apaisée, il prévint ses séminaristes : Ceux qui ne veulent pas
reconnaître les dangers provoqués par la réforme, et ceux qui manifestent une
dureté excessive à l’encontre du pape ou de leurs confrères n’épousent pas le
véritable esprit sacerdotal :
« Cela fait déjà un an – les autres diront peut-être deux ans – que la situation au séminaire est difficile, qu’il y a des oppositions à l’intérieur du séminaire ; que certains groupes de séminaristes sont opposés les uns aux autres, qu’on a donné des étiquettes à certains. Les uns se sont dits libéraux, les autres se sont dits jansénistes, et que sais-je…
« Enfin, cela, j’en suis conscient moi-même. Je ne suis pas le dernier à le savoir, et je suis payé pour le savoir parce qu’on me donne les deux étiquettes ! Et ces deux étiquettes, surtout en France, particulièrement dans notre cher pays de France, les divisions y sont effrayantes, épouvantables, dans les milieux traditionalistes. Elles ne font que se multiplier. C’est effrayant et triste de voir cette division…
« Alors la situation s’est trouvée, ici au séminaire, le reflet de cette situation qui se trouve en France. Heureusement pour ceux qui ne sont pas français, la situation dans leurs pays en général est moins aiguë. Je ne dis pas qu’il n’y en ait pas, il y a des divisions partout parce que quand le vrai pôle de l’unité qui doit être Rome faiblit, forcément tout s’en va. Chacun se fait un peu sa vérité, chacun se fait sa doctrine, son groupe. Chacun veut avoir sa manière de réagir. C’est fatal. Ce sont les conditions dans lesquelles se trouve l’Eglise actuellement qui veulent cette poussière de divisions. C’est ce qu’a produit le protestantisme. Le protestantisme est devenu une poussière de sectes parce qu’ils ont perdu l’unité de Rome. Maintenant c’est Rome même. La lumière est en quelque sorte obscurcie et alors les fidèles, les catholiques, sont dans le désarroi complet. Et les réactions, même les bonnes réactions, se voient sous des angles différents, des manières différentes, des méthodes différentes. Et on se divise.
« Alors je me trouve forcément moi-même pris dans tout ce tourbillon, ayant moi-même réagi et fait ce séminaire il y a maintenant huit ans. Fatalement, il y en a qui sont d’accord, pas d’accord et pas tout à fait d’accord, pas tout à fait contre, etc. C’est fatal. Et ma foi, cela fait déjà trois fois que la Providence permet qu’il y ait des ruptures à l’intérieur du séminaire. C’est la troisième fois que je répète, que je dis la même chose. […]
« Hésitations au sujet des ordinations, hésitations au sujet de la juridiction des nouveaux prêtres, hésitations au sujet des incardinations des prêtres dans la Fraternité que je considère comme toujours existante puisqu’elle a été abolie illégalement et injustement. Autant de petits points, je dirais peu de choses comme différences, mais tout de même une certaine différence.
« Alors, en plus de cela, il faut bien reconnaître que dans le séminaire il y avait un peu cette tendance à ne pas être parfaitement dans ce que je pense devoir affirmer. Et en plus de cela, il y avait aussi le fait que je réprouve absolument, de certains séminaristes qui, eux, se sont durcis et ont plutôt voulu suivre les idées du Père Barbara et je dirais un certain durcissement de ceux qui, parmi les traditionalistes de France, ont des positions, à mon avis, excessives de dureté contre le pape, contre les évêques, toujours prêts à insulter les évêques, à insulter le pape.
« Alors il s’est trouvé de fait ici certains séminaristes qui prenaient plutôt leur inspiration, inspiration de doctrine, en dehors du séminaire et non pas dans le séminaire. Alors, si d’un côté il y en avait qui ne suivaient pas le séminaire par défaut, il y en avait qui ne suivaient pas le séminaire par excès. Et alors cela fait cet affrontement, cet affrontement qui est venu à l’intérieur du séminaire, affrontement lamentable : manque de charité, manque de compréhension, manque d’union, divisions continuelles. Alors on ne pouvait plus se voir, plus s’asseoir l’un à côté de l’autre et bientôt presque ne plus manger ensemble, ne plus aller en récréation ensemble. Inimaginable ! Ce n’est plus chrétien, à plus forte raison plus sacerdotal ! C’est inimaginable cela. Inimaginable !
« Que font ici des séminaristes qui sont dans cet état d’esprit ? Il vaut mieux qu’ils s’en aillent. De grâce, qu’ils s’en aillent ! Et personnellement je me vois obligé en conscience de sévir contre ceux qui apportent cet esprit excessif dans une dureté, une attitude à mon avis non conforme à l’esprit sacerdotal, non conforme à l’esprit pastoral, une attitude exagérée vis-à-vis de tous ceux qui ne pensent pas comme eux, une attitude qui n’est pas chrétienne. Je me vois obligé de sévir. C’est pourquoi j’ai demandé à trois séminaristes de ne pas revenir cette année-ci au séminaire.
« D’autre part, je ne puis pas non plus tolérer des séminaristes qui ne pensent pas comme nous, qui ne nous suivent pas, qui ne sont pas d’accord pour les ordinations, qui ne sont pas d’accord pour l’incardination, qui ne sont pas d’accord pour dire qu’il y a quand même dans les sacrements nouveaux des choses inquiétantes et qui rendent certainement invalides un bon nombre des sacrements – du moins il faut aussi étudier les cas particuliers – mais il y a certainement maintenant beaucoup de prêtres qui n’ont maintenant plus l’intention de faire ce que fait l’Eglise et donc leurs sacrements sont invalides – et puis ceux qui pensent que nous avons une attitude vis-à-vis du pape qui n’est pas celle qui devrait être. Eh bien ces séminaristes-là, s’ils ne nous suivent pas, que font-ils ici ? Pourquoi venir dans ce séminaire si on ne veut pas en prendre les orientations et la ligne ? C’est inutile. Alors c’est un poids qui pèse et que l’on traîne comme un boulet dans le séminaire, ces gens qui ne sont pas d’accord avec la ligne du séminaire. »
Mgr Lefebvre, conférence du 20 septembre 1977
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