samedi 23 février 2013

Mgr Lefebvre : Ne tirons pas les conclusions mathématiques

Dans une conférence qu'il a dispensée en 1984, Mgr Lefebvre met en garde contre les deux écueils qui se présentent à la Fraternité Saint-Pie X. D'un côté, le danger existe de participer à la révolution dans l'Eglise, en empruntant notamment le chemin de la nouvelle messe. De l'autre, il y a ceux qui récuseraient « l’attachement à Rome aussi et la fidélité à l’apostolicité. » A l'époque où son fondateur parle, la Fraternité a vécu des moments de trouble, où une frange de prêtres et de fidèles, en particulier aux Etats-Unis, a fini par s'user au combat, en désirant abandonner la fidélité à Rome, en laissant entendre que le pape et les cardinaux appartiendraient à une autre entité que l'Eglise catholique. Cette dérive paraissait grave. Et Mgr Lefebvre n'a pas hésité à recadrer avec fermeté ces tendances :

« Voyez, je pense que c’est là que se trouve tout notre problème. Nous vivons dans un temps exceptionnel. On ne peut pas juger de tout ce qui se fait dans l’Eglise selon les temps normaux. Nous nous trouvons dans une situation exceptionnelle, il faut aussi interpréter les principes qui devraient être ceux qui dirigent nos supérieurs ecclésiastiques. Ces principes, il faut les voir dans l’esprit de ceux qui vivent actuellement, ces principes qui étaient si clairs autrefois, si simples, que personne ne discutait, qu’on n’avait pas l’occasion de discuter, ils tombent, je dirais, dans des esprits libéraux, dans des esprits, comme je vous l’ai expliqué, qui n’ont pas de clarté de vision… Cela change la situation. Nous sommes dans une situation de confusion invraisemblable. Alors ne tirons pas les conclusions mathématiques comme cela, sans considérer ces circonstances. Parce qu’alors nous tombons :
- Ou bien nous nous rangeons à la révolution dans l’Eglise, nous participons à la destruction de l’Eglise, nous partons avec les progressistes...
- Ou bien nous quittons complètement l’Eglise et nous nous trouvons où ? avec qui ? avec quoi ? reliés comment aux apôtres, reliés comment aux origines de l’Eglise ? Partis… et alors, ça va durer combien de temps ? Alors s’il ne faut plus considérer les trois derniers conclaves, comme le disent ceux d’Amérique qui ont été sacrés évêques, donc depuis le temps, qu’il n’y a plus de pape, il n’y a plus non plus de cardinaux. On ne voit plus comment même faire revenir un pape légitime… Non ! C’est le désordre complet !
Alors il me semble qu’il faut rester dans cette voie du bon sens, et du sens d’ailleurs qui rallie le bon sens des fidèles aussi, le sens de la foi des fidèles, qui à 90% suivent les orientations de la Fraternité et ne comprendraient ni les uns, ni les autres.
Ils ne veulent aller ni aux progressistes et puis s’en aller à la nouvelle messe et prendre tous les changements, cela ils ne l’acceptent pas du tout et disent : S’il y en a qui sont comme ça, et bien qu’ils s’en aillent ! Mais nous, on ne veut pas. Nous on reste comme on est maintenant, on veut garder la Tradition, et ni nous séparer complètement du pape : « Il n’y a plus de pape, il n’y a plus rien, il n’y a plus d’autorité, on ne sait plus à qui on est rattachés, il n’y a plus de Rome, il n’y a plus d’Eglise catholique »… Ça, ça ne va pas non plus. Ils sont perdus aussi, ils se sentent perdus, ils sont désorientés.
Alors ils gardent ce sens de la foi, le sens que la Providence donne aux bons fidèles et aux bons prêtres de maintenant, de garder la foi, garder la ligne, garder l’attachement à Rome aussi et la fidélité à l’apostolicité, à la visibilité de l’Eglise, qui sont des choses essentielles, quitte à ne pas suivre les papes lorsqu’ils favorisent l’hérésie, comme l’a fait le Pape Honorius. Il a été condamné. Ceux qui auraient suivi le Pape Honorius à ce moment-là se seraient fourvoyés puisqu’il a été condamné après.  »

samedi 16 février 2013

Les conditions d’un dénouement de la crise


Souvent, ceux qui s’en prennent à la Fraternité Saint-Pie X s’ingénient à la tourner en dérision et à caricaturer sa position ou sa doctrine (laquelle n’est rien d’autre que celle qui a été dispensée par l’Église pendant les siècles). Ainsi, l’accuse-t-on d’attendre un dénouement irréalisable de la crise, où il conviendrait que les responsables des méfaits dans l’Église fassent « repentance » quand il ne faudrait pas attendre une intervention spectaculaire du Ciel qui châtierait les coupables et exalterait ceux qui seraient alors faussement humbles.

Toujours armé par son pragmatisme naturel, Mgr Lefebvre faisait preuve de beaucoup plus de réalisme. Il ne négligeait aucune solution par étapes. Ainsi, à l’heure où il annonçait qu’il allait probablement sacrer, il préconisait de revenir sur le Concile avec doigtée. Un journaliste lui demandait : « Est-ce que vous voyez le Pape, un dimanche matin, se montrer place Saint-Pierre et annoncer aux fidèles qu’après plus de vingt ans, il s’est avisé que le Concile s est trompé et qu’il faut abolir au moins deux décrets votés par la majorité des Pères et approuvés par un Pape ? »

Mgr Lefebvre n’attend pas que les responsables, en chemise blanche et la corde au cou viennent faire leur auto-critique comme on pouvait en faire sous l’ère stalinienne. Au contraire, il répond de manière posée : « Allons donc ! A Rome, on saurait bien trouver une modalité plus discrète… Le Pape pourrait affirmer avec autorité que quelques textes de Vatican II ont besoin d’être mieux interprétés à la lumière de la Tradition, de sorte qu’il devient nécessaire de changer quelques phrases, pour les rendre plus conformes au Magistère des papes précédents. Il faudrait qu’on dise clairement que l’erreur ne peut être que « tolérée », mais qu’elle ne peut avoir de « droits » ; et que l’Etat neutre au plan religieux ne peut, ni ne doit exister. » Mgr Lefebvre disait cela en même temps qu’il annonçait une prochaine consécration épiscopale.

Face à une question similaire, son successeur, Mgr Fellay vient de formuler une réponse semblable dans un entretien qu’il a accordé à Nouvelles de France : « En ce qui concerne Vatican II, comme pour la messe, nous estimons qu’il est nécessaire de clarifier et de corriger un certain nombre de points qui sont soit erronés, soit conduisant à l’erreur. Cela étant, nous ne nous attendons pas à ce que Rome condamne Vatican II avant longtemps. Elle peut rappeler la Vérité, corriger discrètement les erreurs en sauvegardant son autorité. Toutefois, nous pensons que la Fraternité apporte sa pierre à l’édifice du Seigneur en dénonçant certains points litigieux. »

Et cette prudence sur l’échéance qu’évoque Mgr Fellay se retrouve aussi chez Mgr Lefebvre qui dit être prudent face aux pressions d’une « mafia libérale-maçonnique » qui tend à empêcher le pape d’agir en faveur de la Tradition de l’Église. N’est-ce pas cette même tendance que dénonçait le supérieur général de la FSSPX lorsqu’il pointait du doigt ces derniers temps tous ceux qui s’attachaient à empêcher toute reconnaissance de la Fraternité ?

L’histoire de l’Église nous enseigne que les crises trouvent leur résolution non pas de manière spectaculaire mais par étapes. Par exemple, le fameux Édit de Milan qu’on considère depuis des siècles comme l’acte de naissance de la Chrétienté n’est pourtant rien d’autre qu’une liberté donnée à tous de pratiquer son culte. Faudrait-il pour autant traiter Constantin de libéral ? Il a pourtant fallu en passer par là pour que de la persécution, nous parvenions finalement à l’avènement du Saint Empire.


Côme de Prévigny

dimanche 10 février 2013

Il y a 50 ans : la lettre de Mgr Lefebvre sur la soutane

Élu supérieur général des Pères du Saint-Esprit le 26 juillet 1962, Mgr Lefebvre amorça dès les premiers mois de son mandat une réforme de sa congrégation pour réinsuffler un véritable esprit sacerdotal. Il prévoyait notamment de réorganiser les séminaires et la formation des futurs prêtres. Mais l’ouverture, moins de trois mois après, le 11 octobre, du concile Vatican II, avait fait souffler sur l’Église un véritable vent de nouveautés qui consistait à bouleverser en profondeur tous les domaines : dogme, hiérarchie, communautés religieuses, missions, action sociale, liturgie, chant, habillement, etc : tous les secteurs étaient touchés. Ainsi, avant même que le Concile ait statué, son esprit l’avait précédé et des initiatives avaient conduit en quelques semaines les épiscopats et parfois les prêtres de leur propre chef à retourner les autels, à reléguer les statues, à abandonner les ornements et notamment la soutane. Celle-ci disparaissait peu à peu au sein de la Congrégation du Saint-Esprit. Son nouveau supérieur général n’en faisait pas une fin en soi, il avait d’ailleurs envisagé avant le Concile qu’on puisse étudier la question du clergyman. Mais, rapidement, il se rendit compte que la réclamation du bouleversement du costume religieux consistait à faire disparaître la distinction entre les prêtres et les fidèles. Aussi est-ce dans ce contexte frénétique que Mgr Marcel Lefebvre rédigea à l’attention des deux mille membres de sa congrégation cette lettre pour que pères et frères du Saint-Esprit retrouve l’habit qui les séparait du monde pour les vouer tout entier à Dieu.
Mes chers confrères,
 

Les mesures prises par un certain nombre d’évêques dans différents pays au sujet de la tenue ecclésiastique méritent qu’on y réfléchisse puisqu’elles peuvent avoir des conséquences qui ne nous sont pas indifférentes.
En soi le port de la soutane ou du clergyman n’a de signification que dans la mesure où cet habit marque une distinction d’avec l’habit laïque. Ce n’est pas d’abord une question de décence. Au plus, le gilet montant du clergyman manifeste une certaine austérité et discrétion ; à plus forte raison la soutane.
Il s’agit donc davantage d’une désignation du clerc ou du religieux par son habit. Il va de soi que cette désignation aille dans le sens de la modestie, de la discrétion, de la pauvreté, et non dans le sens opposé. Il est évident que le particularisme de l’habit doit porter au respect, et faire penser au détachement des vanités de ce monde.
Mgr Lefebvre entouré de Spiritains du Brésil - 1966
Il est bon d’insister surtout sur la première qualité qui est la spécification du clerc, du prêtre ou du religieux, au même titre que le militaire, l’agent de police ou de circulation. Cette idée se manifeste dans toutes les religions. Le chef religieux est facilement reconnaissable par sa tenue, souvent par ses accompagnateurs. Le peuple fidèle attache une grande importance à ces marques distinctives. On a tôt fait de distinguer un chef musulman. Les marques distinctives sont multiples : les habits de qualité, les anneaux, les colliers, l’entourage montrent qu’il s’agit d’une personne particulièrement honorée et respectée. Il en est de même dans la religion bouddhiste, et dans tout l’Orient chrétien, catholique ou non.
Le sentiment très légitime du peuple fidèle est surtout le respect du sacré et de plus le désir de recevoir les bénédictions du ciel, en toute occasion légitime, de la part de ceux qui en sont les ministres.
En fait, le clergyman semblait jusqu’à présent être la tenue qui désignait une personne consacrée à Dieu, mais avec le minimum de signe apparent, surtout dans les pays où la veste correspond exactement au veston du laïc. Dans un pays comme le Portugal et il y a peu de temps encore en Allemagne, la veste est longue et descend jusqu’aux genoux.
Les prêtres habitués dans ces pays à porter le clergyman le considèrent comme un habit de sortie et non comme un habit d’intérieur. Souvent, d’ailleurs, ce costume à l’extérieur a été rendu obligatoire par des lois de l’État, contre le catholicisme romain, ce qui explique le désir de reprendre la soutane dès qu’on se trouve dans l’intérieur des locaux ecclésiastiques : presbytères et églises.
Il y a donc très loin de l’esprit dans lequel est porté le clergyman dans ces pays à l’esprit que l’on constate chez certains prêtres vis-à-vis de l’habit ecclésiastique.
Il faut lire les considérants donnés par les évêques, pour bien situer le sens de la mesure prise.
C’est en effet devant le fait du port de l’habit laïque sans plus aucune distinction particulière de l’état clérical et afin de l’interdire plus sûrement qu’ils ont concédé l’autorisation du port du clergyman, sans aucun encouragement, et à plus forte raison, sans aucune obligation.
Or, il faut constater que depuis ces ordonnances le port de l’habit laïque a énormément progressé partout, même là où il n’existait pas. Pratiquement, la mesure prise dans beaucoup de diocèses a été l’occasion d’abandonner tout signe distinctif de la cléricature. Les ordonnances ont été complètement dépassées. Et il n’est pas question de soutane au presbytère ni souvent même de soutanelle à la paroisse. Il est donc important de nous poser la question suivante : oui ou non est-il souhaitable que le prêtre soit distingué, reconnu parmi les fidèles et les laïcs, ou au contraire est-il aujourd’hui désirable en vue de l’efficacité de l’apostolat que le prêtre ne se distingue plus des laïcs ?
À cette question, nous répondrons par la conception du prêtre d’après Notre Seigneur et les Apôtres, en considérant les motifs apportés par l’Évangile, afin de savoir s’ils sont encore valables aujourd’hui.
Dans saint Jean, chap. XV, en particulier le v. 19 : « Si de mundo fuissetis, munus quod suum erat diligeret, quia vero DE MUNDO NON ESTIS, sed ego ELEGI VOBIS DE MUNDO, propterea odit vos mundus… Si vous étiez du monde, le monde aimerait son bien ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, puisque mon choix vous a tiré du monde, le monde vous hait » ; v. 21 : « Nesciunt eum qui misit me… « Ils ne connaissent pas celui qui m’a envoyé », v. 27: « Et vos testimonium perhibebitis quia ab initio mecum estis…  et vous aussi, vous témoignerez, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement ».
Dans saint Paul aux Hébreux, chap. V, v. 1 : « Omnis namque pontifex ex hominibus ASSUMPTUS pro hominibus constituitur in iis qui sunt ad Deum… tout grand prêtre, en effet, pris d’entre les hommes, est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu ».

Il est clair que le prêtre est un homme qui est choisi et distingué des autres. De Notre Seigneur, saint Paul (Héb. chap. VII, v. 26) dit qu’il est « segregatus a peccatoribus… séparé des pécheurs ». Ainsi doit être le prêtre qui a fait de la part de Dieu l’objet d’un choix particulier.

Il faudrait ajouter à cette première considération celle du témoignage de Dieu, de Notre Seigneur, que doit rendre le prêtre vis-à-vis du monde. « Et eritis mihi testes… vous serez alors mes témoins » (Actes, chap. I, v. 8). Le témoignage est une notion qui vient souvent sur les lèvres de Notre Seigneur. Comme Lui témoigne de son Père, nous aussi nous devons témoigner de Lui.

Ce témoignage doit être vu et entendu sans difficulté de la part de tous. « On ne met pas la lumière sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu’elle procure la lumière à tous » (Math., chap. V, v.15).

La soutane du prêtre procure ces deux fins d’une manière claire et sans équivoque : le prêtre est dans le monde sans être du monde, il s’en distingue tout en y vivant, et il est aussi protégé du mal. « Je ne demande pas que vous les enleviez du monde mais que vous LES PRÉSERVIEZ DU MAL, car ils ne sont pas du monde, comme moi je n’en suis pas non plus (Jean, chap. XVII, v. 15-16).
Le témoignage de la parole, qui est certes plus essentiel au prêtre que le témoignage de l’habit, est cependant grandement facilité par la manifestation très nette du sacerdoce qu’est le port de la soutane.

Le clergyman, encore que suffisant, est cependant déjà plus équivoque. Il n’indique pas clairement le prêtre catholique.

Quant à l’habit laïque, il supprime toute distinction et rend le témoignage beaucoup plus difficile, ainsi que la préservation du mal moins efficace. Cette disparition de tout témoignage par le costume apparaît clairement comme un manque de foi dans le sacerdoce, une mésestime du sens religieux chez le prochain et au surplus une lâcheté, un manque de courage dans les convictions.

Un manque de foi dans le sacerdoce.

Depuis bientôt cent ans les papes ne cessent de déplorer la laïcisation progressive des sociétés. Le modernisme, le sillonisme ont diffusé les erreurs concernant les devoirs des sociétés civiles vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis de l’Église.
La séparation de l’Église et de l’État, acceptée, estimée parfois comme le meilleur statut, a fait pénétrer peu à peu l’athéisme dans tous les domaines de l’activité de l’État et en particulier dans les écoles. Cette influence délétère continue, et il nous faut bien constater que bon nombre de catholiques et même de prêtres n’ont plus une idée exacte de la place de la religion et de la religion catholique dans la société civile et en toutes ses activités. Le laïcisme a tout envahi, même nos écoles libres et nos petits séminaires. La pratique religieuse diminue nettement dans ces institutions. On y communie de moins en moins.
Le prêtre qui vit dans une société de ce genre a l’impression grandissante d’être étranger à cette société, puis d’être gênant, d’être le témoin d’un passé périmé et définitivement révolu. Sa présence est tolérée. C’est du moins une impression fréquente chez les jeunes prêtres. D’où ce désir de s’aligner sur le monde laïcisé, déchristianisé, qui se traduit aujourd’hui par l’abandon de la soutane.
Ces prêtres n’ont plus la notion exacte de la place du prêtre dans le monde et vis-à-vis du monde. Ils ont peu voyagé et jugent superficiellement de ces notions. S’ils étaient demeurés quelque temps dans des pays moins athées, ils eussent été édifiés en constatant que la foi dans le sacerdoce est encore, grâce à Dieu, très vive dans la plupart des pays du monde.

Une mésestime du sens religieux du prochain.

La laïcité, disons l’athéisme officiel, a du même coup supprimé dans beaucoup de relations sociales les sujets de conversation concernant la religion. La religion est devenue très personnelle. Et un faux respect humain l’a reléguée au rang des affaires personnelles, des affaires de conscience. Il existe donc dans tout le milieu humain ainsi laïcisé une fausse honte, qui a pour conséquence de fuir ce sujet de conversation.
C’est pourquoi l’on suppose gratuitement que ceux qui nous entourent dans les relations d’affaires ou relations fortuites sont areligieux.
Or s’il est vrai, hélas, que beaucoup de personnes dans certains pays ignorent tout de la religion, c’est cependant une erreur de penser que ces personnes n’ont plus aucun sentiment religieux et c’est surtout une erreur de croire que tous les pays du monde se ressemblent sous cet aspect.
Là encore les voyages nous apprennent beaucoup de choses et nous montrent que les hommes en général sont encore, grâce à Dieu, très préoccupés par la question religieuse.
C’est mal connaître l’âme humaine que de la croire indifférente aux choses de l’esprit et au désir des choses célestes. Bien au contraire.
Ces principes sont essentiels dans l’exercice quotidien de l’apostolat.

C’est une lâcheté.

Devant le laïcisme et l’athéisme, s’aligner entièrement c’est capituler et enlever les derniers obstacles à leur extension.
Le prêtre est une prédication vivante par sa soutane, par sa foi. L’absence apparente de tout prêtre, surtout dans une grande ville, est un recul grave de la prédication de l’Évangile. C’est la continuation de l’oeuvre néfaste de la Révolution qui a saccagé les églises, des lois de séparation qui ont chassé les religieux et religieuses, qui a laïcisé les écoles.
C’est renier l’esprit de l’Évangile qui nous a prédit les difficultés venant du monde à l’adresse du prêtre et des disciples de Notre Seigneur.
Ces trois constatations ont de très graves conséquences dans l’âme du prêtre qui se laïcise et elles entraînent vers une rapide laïcisation les âmes des fidèles.
Le prêtre est le sel de la terre. « Si le sel s’affadit, de quelle utilité sera-t-il, sinon être jeté dehors pour être foulé sous les pas des passants ? » (Math. chap. V, v. 13).
Hélas ! N’est-ce pas ce qui guette à tout instant ces prêtres qui ne veulent plus paraître tels. Le monde ne les aimera pas pour autant, mais les méprisera. Les fidèles, eux, seront douloureusement affectés de ne plus savoir à qui ils ont affaire. La soutane était une garantie d’authenticité du sacerdoce catholique.
Il ne s’agit donc pas dans le cas présent, vu le contexte historique, les circonstances, les motifs, les intentions, d’une affaire minime, d’une affaire de mode ecclésiastique, ce qui n’aurait qu’une importance très secondaire. Il s’agit du rôle même du prêtre comme tel dans le monde et vis-à-vis du monde. Et c’est bien de cela qu’entendent juger les prêtres et religieux qui portent l’habit civil malgré les défenses épiscopales. C’est pourquoi la mesure autorisant le clergyman n’a eu aucun effet restrictif vis-à-vis du port de l’habit laïc mais bien au contraire, a pris la signification d’un encouragement à le porter.
Il ne s’agit pas de savoir si le prêtre gardera la soutane, ou s’il portera le clergyman au-dehors et la soutane à l’église et au presbytère ; il s’agit de savoir si le prêtre gardera un habit ecclésiastique ou non.
Pour nous, dans ces conjonctures, nous avons choisi de garder l’habit ecclésiastique, c’est-à-dire la soutane dans nos Provinces où elle a été en usage jusqu’ici et le clergyman dans les Provinces où il est en usage, avec le port de la soutane dans les communautés et à l’église.
Nous disons : « dans les conjonctures », car il va de soi que si des mesures nouvelles étaient prises vis-à-vis du costume ecclésiastique qui sauvegarderaient les deux principes énoncés ci-dessus : la marque extérieure du sacerdoce et le témoignage évangélique et ce d’une manière décente et discrète, mais évidente, nous n’hésiterions pas à les adopter.
Puissent, mes chers confrères, ces quelques considérations nous attacher de toute notre âme à notre sacerdoce et à notre mission en ce monde. Avec Notre Seigneur, puissions-nous dire à la fin de notre vie : « Père, j’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés du monde... je vous ai rendu gloire sur la terre, j’ai consommé l’œuvre que vous m’avez donné de faire » (Jean, XVII,6-4).

Mgr Marcel Lefebvre, supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit
Paris, en la fête de Notre-Dame de Lourdes,
le 11 février 1963.

jeudi 7 février 2013

Mgr Lefebvre : Ne pas nous enfermer sur nous

La riche expérience de Mgr Lefebvre lui a rendu grand service lorsqu'il a fondé la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. Grand connaisseur des réalités de l'Eglise d'Occident comme des terres de missions, il avait vu, en Afrique et à travers le monde, quels étaient les avantages et les risques que procuraient des situations variées. Aussi, lorsqu'il s'est trouvé obligé de contester les dispositions papales qui visaient, notamment, à interdire le missel traditionnel, il était bien conscient que dans les rangs des fidèles le zèle amer ou les tentations de recroquevillement constituaient des dangers réels. Dans le positionnement en ligne de crête, il voyait qu'un vrai péril se dessinait - celui de s'user à la tâche - et qu'un autre lui faisait immédiatement face - celui de s'aigrir, faute de patience. Le 7 juin 1979, devant les séminaristes d'Ecône, il mettait en garde contre ces tendances. Le contexte était incertain. Les condamnations étaient tombées depuis trois ou quatre ans et un risque de routine pouvait commencer à gagner les esprits. Il fallait à tout prix préserver la foi et maintenir un esprit d'apostolat animé par la joie chrétienne. Or, l'état d'exception pouvait risquer, avec les années, de s'institutionnaliser. Dans les quelques mots qui suivent, on lit, une fois de plus, l'optimisme de Mgr Lefebvre qui parie davantage sur l'efficacité surnaturelle de la messe qui finira par tout emporter sur son passage, que sur des recours humains. Il ne sombre pas non plus dans des conclusions apocalyptiques ni dans un désarroi qui ne propose plus aucune solution réaliste.

« Le jour où l’on a une église comme celle de Saint-Nicolas du Chardonnet, voyez se précipiter les foules dans Saint-Nicolas du Chardonnet. Imaginez que demain le pape demande aux évêques de nous donner des lieux de culte, de nous donner des églises et que nous ayons Saint-Nicolas du Chardonnet dix fois, vingt fois, trente fois en France, et puis en Allemagne, et puis en Suisse et puis partout… Imaginez la différence, voyez ce que ça ferait ! Ce serait énorme, formidable. Ce ne serait peut-être pas toutes des paroisses comme celles de Saint-Nicolas du Chardonnet, aussi nombreuse, aussi fervente, mais enfin il y aurait cela, des paroisses-témoins dans tous les endroits de la France, dans tout le monde entier il y aurait des paroisses-témoins de la Messe de toujours. Ce serait la renaissance de l’Eglise, c’est sûr. Et après Rome serait obligée de constater les faits. Déjà maintenant ils sont effrayés par cette prolifération des groupes traditionalistes et de ces Messes qui se disent un peu partout. Ils sont effrayés, ils voient bien qu’ils ne peuvent pas arriver à en sortir. Ils ont cru pouvoir en sortir, ils n’en sortent pas. Imaginez s’il y avait seulement un feu vert alors à ce moment-là le Bon Dieu permettrait que le triomphe de sa Messe soit le triomphe du renouveau de l’Eglise aussi et que Rome soit obligée de s’incliner. Nous aurions atteint le but que nous souhaitons : que Rome s’incline une fois devant la vérité et devant la sainteté de la Messe, devant la Tradition. Si le Bon Dieu le veut, Il le fera. Si le Bon Dieu veut que nous souffrions encore, nous souffrirons. Mais je pense que le moyen d’arriver au triomphe de la Messe, ce n’est pas la rupture avec Rome, ce n’est pas de dire qu’il n’y a plus rien à Rome, que nous n’avons plus à remettre le pied à Rome, que nous n’avons plus à discuter, nous n’avons qu’à nous enfermer sur nous, sur notre Messe, sur nos petits groupes et c’est tout. Ça, je suis persuadé que ce n’est absolument pas la volonté de Notre-Seigneur, ce n’est pas l’apostolat, ce n’est pas apostolique, ce n’est pas bien et ce n’est pas ce que le Bon Dieu demande de nous. »